Les Malahims – 1
La Pierre Fendue n’avait plus que deux jours d’avance… et cela depuis quatre jours. Ce n’était pas parce que les fuyards allaient plus vite, ou que la horde piétinait. Ou alors, volontairement.
Mungil-Toù voulait un triomphe total, il n’y aurait que cela pour assouvir sa vengeance. Et rétablir son prestige, sans le forcer à plusieurs duels. Il avait donc donné l’ordre de ralentir le train, en même temps qu’il envoyait des messagers aux alentours pour rappeler les convois qui s’étaient écartés de la piste principale.
Garder les Malahims groupés sous ses yeux était un beau rêve, et la seule manière d’asseoir totalement son autorité, mais la horde n’avait pas pu continuer à progresser longtemps de cette manière, car il n’y avait pas assez d’herbe pour nourrir les chevaux ou les bœufs, ni assez de gibier à portée des chasseurs. Il avait dû se résoudre à voir ses forces se fragmenter pour assurer le ravitaillement, se contentant de rester en communication avec les autres clans et de contrôler par des estafettes qui ne cessaient d’aller d’un point à l’autre que l’on continuait à progresser dans la même direction.
Maintenant, alors qu’il se préparait à fondre sur le rebelle, il voulait que les clans se rejoignent une fois de plus, ce qui était en cours. Chaque heure voyait un groupe de cavaliers, quelques chariots, les femmes et les enfants rejoindre son propre groupe qui, au plus bas, n’avait plus été formé que des guerriers de cinq clans.
Alors que la horde s’arrêtait pour la nuit, un trente et unième clan, la Flèche Tordue, les rejoignit. Contrairement aux autres, qui venaient du sud ou du nord, ces Malahims arrivaient de l’ouest. Ils avaient donc été plus loin dans cette direction que Mungil-Toù lui-même.
Le maître de Ceux-qui-ignorent-la-peur était vaguement mécontent : si ses messagers n’avaient pas rejoint à temps la Flèche Tordue, ce clan aurait été le premier à se heurter à Kaluft-Petr, le privant de sa vengeance personnelle. Il envoya Torkiz, le fils de Sooùvar, chef de la Flèche Tordue, chercher son père. C’était un geste généreux : l’adolescent qui faisait partie de sa garde privée – c’est-à-dire de ses otages – n’avait plus vu ses parents depuis plus de dix jours.
Sooùvar était un guerrier âgé – Torkiz était le fils aîné de sa troisième femme, épousée sur le tard – qui devait plus à la sagesse qu’à la force d’être toujours à la tête de ses guerriers. Il s’était vite rallié à Mungil-Toù, sans tenter de conserver son indépendance, lorsqu’il avait constaté que le nouveau maître des Malahims non seulement gagnait tous ses duels, mais que ceux-ci se terminaient toujours par la mort du vaincu. Ce n’était pas par lâcheté, ni servilité, et plus d’une fois, il avait élevé la voix aux conseils des chefs de clans… mais sans jamais s’acharner lorsqu’il voyait qu’il se trouvait en minorité. Mungil-Toù était plus calme au moment où il arriva : Sooùvar avait toujours été fidèle, et de plus, très souvent de bon conseil.
— Comment se présentent les terres, à l’ouest ? commença-t-il alors que le visiteur pénétrait sous sa tente accompagné de Torkiz.
— Le pays n’est guère différent. Les vallées sont moins profondes, les collines moins abruptes. Peut-être qu’un peu plus loin commencent des plaines, mais nous n’avions fait que les entrevoir quand ton messager nous a rappelés.
Il ajouta quelques détails topographiques sur les six ou sept lieues qui s’étendaient devant la horde.
— Et la Pierre Fendue ?
— Nous n’avons pas vu leurs traces, ni croisé l’un de leurs chasseurs. Ils doivent marcher un peu au nord de la route que nous suivions.
— Buvons ! fit tout à coup Mungil-Toù en prenant une outre de bière qui rafraîchissait dans un bassin d’eau puisée au ruisseau voisin.
Il avait eu tort de se méfier de Sooùvar et voulait maintenant resserrer les liens de vassalité sincère qui les liaient.
Ils burent à la régalade et Mungil-Toù fit signe à Torkiz, qui avait suivi la conversation, de boire aussi. Après tout, le garçon n’était-il pas l’un de ses proches suivants ? Pris d’une certaine émotion, Mungil-Toù dit tout à coup à l’adolescent d’aller rejoindre sa mère et ses sœurs, ce qu’il fit après s’être incliné en signe de remerciement.
Sooùvar prit l’outre et but encore.
— Il y a autre chose dont je dois te parler. Mais je ne voulais pas le faire tant que l’enfant était là…
Mungil-Toù saisit à la manière dont les mots étaient prononcés que le message serait important. Mais aussi que ce qu’allait dire Sooùvar pouvait lui faire modifier ses projets. Ce fut comme une brève étincelle de connaissance, qui s’éteignit aussitôt. Il n’avait plus qu’à écouter attentivement son invité.
— Deux de nos chasseurs, qui s’étaient écartés de notre chemin, ont découvert des traces nombreuses. Ils ont même vu des camps.
— Des tribus indigènes… Peuhhh ! Ce ne sont que quelques poignées de guerriers. Ils ne sont pas dangereux.
— J’ai parlé de traces nombreuses. (Sooùvar s’interrompit pour regarder Mungil-Toù droit dans les yeux.) Il y a des centaines de cavaliers dans cette contrée, et ce ne sont pas des indigènes. Ou alors pas depuis longtemps. Ce sont aussi des Malahims !
Mungil-Toù ne parut pas aussi étonné que son interlocuteur l’avait été en apprenant la nouvelle de la bouche de ses éclaireurs :
— Le trek d’Ardag au Grand Pied… Tu dois en avoir entendu parler ? Ou celui de Bucherik ?
— C’était il y a si longtemps. Ce sont des légendes, sûrement.
Sooùvar n’avait pas l’air convaincu.
— Si longtemps, oui. Nous avons quitté nos terres alors que le père de ton grand-père n’était qu’un enfant, et le trek d’Ardag remontait déjà à trois générations, au point que c’était déjà presque une légende. Quant à celui de Bucherik, il était encore plus ancien…
Il se tut, songeur et Sooùvar n’osa pas parler, d’autant plus qu’il ne voyait pas quel commentaire faire.
— Quand Mikel-le-Brun a rassemblé quatre clans pour quitter les demeures des ancêtres, il ne savait pas que ses descendants compteraient un jour plus de quarante clans. Peut-être y a-t-il derrière nous un guerrier au nom inconnu qui se lance maintenant dans l’aventure… Un jour, si nous nous arrêtons, ses descendants nous rejoindront. Comme nous rejoignons maintenant ceux d’Ardag ou de Bucherik.
— Des frères… fit Sooùvar.
— Ou des cousins. Et les frères peuvent s’entendre, comme les cousins, mais ils peuvent aussi se disputer l’héritage du père ou de l’oncle.
Mungil-Toù pressa l’outre pour en extraire les dernières gorgées de bière.
— Nous allons régler le sort de Kaluft-Petr d’abord. Mais ensuite, nous nous occuperons de ces autres Malahims. Nous devons savoir exactement combien ils sont et jusqu’où s’étendent leurs terrains de chasse.
— Afin de faire alliance avec eux… suggéra Sooùvar.
— Afin de faire alliance avec eux, confirma Mungil-Toù.
Mais du ton où il avait prononcé ces mots, alliance signifiait allégeance à son pouvoir personnel. Sooùvar ne pouvait en douter, et c’était d’ailleurs parfaitement normal : il ne peut y avoir deux chefs de horde dans le même monde.
Paul ouvrit les yeux. Il lui fallut un instant pour reconnaître dans la tâche pâle qui se trouvait au-dessus de lui le visage de Martine. Un visage inquiet, où des larmes séchées avaient laissé des traces.
— Qu’y a-t-il, Martine ? demanda-t-il.
Ou plutôt, eut-il la volonté, et même l’impression de demander. Car il se rendit compte qu’aucun mot n’était sorti de sa bouche. Ou alors, il était devenu complètement sourd.
Il fit un effort pour se redresser, et sentit une main à la fois apaisante et impérieuse presser sur son épaule pour le forcer à rester allongé.
— Tu as eu un infarctus. Enfin, je crois, et c’est ce que dit Rokart. Mais tu sais qu’il n’est pas vraiment médecin. Il a fait ce qu’il a pu, c’est-à-dire pas grand-chose. Mais tu t’es remis…
Elle sourit, mais c’était un sourire contraint, une façade encourageante qui voulait à tout prix camoufler son inquiétude.
Il se souvint. La douleur brutale, l’éblouissement, puis le noir. Il ne se rappelait plus ce qu’il faisait à ce moment, mais c’était peu de temps après son Éveil, et il devait être occupé à prendre connaissance des événements récents, comme chaque fois qu’il revenait à la conscience.
— Ça va mieux, Martine. Ce n’est pas encore maintenant que je vais vous laisser tomber.
Cette fois, il avait parlé. D’une voix faible et enrouée, mais il avait entendu les mots. Et Martine aussi, car elle sourit plus largement. Et cette fois c’était un vrai sourire. Il comprit qu’elle avait été inquiète, se demandant si en reprenant conscience, il aurait retrouvé toutes ses facultés.
— Tu devrais apprendre à te ménager, tu n’es plus un gamin. Il serait temps que tu en prennes conscience.
Il aurait pu réciter les mots sans les avoir entendus. Elle ne faisait que répéter ce qu’elle avait déjà dit trop souvent. Elle avait raison, évidemment. Mais il y avait tant de choses à faire et il était presque le dernier à s’en soucier vraiment. Non, pas à s’en soucier : à pouvoir comprendre l’étendue de ce qui les attendait.
— Je sais, je n’ai plus vingt ans… Je dois même en avoir pas loin de six cents, d’une certaine manière. Et d’une autre, je me sens si jeune, comme si je recommençais ma vie… (Il se tut, ferma les yeux.) Toi, si j’ai bien compté, tu n’as même pas cinq cent cinquante ans. Un vrai bébé. (Il eut un petit rire coassant.) J’ai soif.
Elle lui tendit un verre de thé léger.
— Drôle de goût, fit-il en la fixant. Qu’avez-vous mis dedans ?
Elle se sentit aussitôt sur la défensive, mais en même temps, la précision des perceptions de Paul achevait de la rassurer.
— Juste un calmant léger, pour t’aider à dormir.
— Excellente initiative. Mais je ne crois pas que j’en avais vraiment besoin. (Il ferma une nouvelle fois les yeux.) Martine…
— Oui ?
Elle se pencha sur lui, prit sa main. Il resta sans réaction : il dormait déjà.
— Faut-il réveiller Olivier et Réjane ? demanda Carine.
Martine resta un instant silencieuse. Olivier, le second fils de Paul et Réjane, sa fille, les derniers membres de sa famille à être en vie. Les autres n’avaient pu rejoindre l’Abri ou lors du choix, étaient restés parmi les Survivants.
Elle hocha la tête :
— Non, ce n’est pas le moment. Ce serait un choc pour lui de les voir à son chevet. Une sorte de condamnation à mort. Ils n’étaient d’ailleurs pas très proches et nous aurons le temps, je crois ?
La fin de sa phrase était adressée à Rokart.
— Il se consume, et pas à petit feu, fit-il.
On l’avait réveillé bien avant son tour, car même s’il ne méritait pas le titre de docteur en médecine, c’était ce qu’ils avaient de plus proche dans le Secret, et nul ne lui reprocherait un quelconque exercice illégal de l’art de guérir. Il venait de commenter les résultats des examens qu’il avait fait passer à Paul, parfois pendant qu’il était pleinement conscient, à d’autres moments en profitant de son sommeil alourdi par les sédatifs.
— Il devrait éviter tout stress, et la présence de ses enfants en serait. En d’autres temps, on lui aurait conseillé une mise au vert, une cure de repos dans un endroit calme, fit-il avec une sorte de sourire contraint. Mais où aller ?
Il haussa les épaules.
— Que peut-on faire ? Le remettre en Sommeil ?
— Je ne crois pas que ce soit la bonne solution. La mise en Sommeil ou l’Éveil représentent toujours une épreuve pour l’organisme. Le renvoyer aux caissons cryos ce serait le tuer. Ou préparer sa mort quasi certaine lors de son prochain Éveil.
— Alors, il n’a plus qu’à l’attendre sans retourner en Sommeil… Il aurait tant voulu vivre le retour à la surface.
Martine se pencha sur le vieil homme, et une vitre du dispensaire lui renvoya sa propre image : elle n’était plus bien jeune, elle non plus. Elle n’avait que quelques années de moins que Paul au début, et si elle avait vécu moins de temps que lui en Éveil, cela n’avait creusé l’écart que de deux ou trois ans.
Elle fit mentalement le compte… À part Paul et elle, les autres habitants du Secret n’avaient pas connu le monde d’Avant, ou alors seulement comme des enfants.
Il y avait eu d’autres adultes au départ, mais ils avaient tous vieilli plus de dix ans avec les autres survivants avant que Paul ne décide de se replier dans l’Abri Secret. Certains n’avaient pas résisté à la fin de leur monde et plutôt que d’essayer de survivre d’une manière stérile – c’était ce qu’ils pensaient et disaient, et le mot était parfaitement approprié à la situation – ils avaient préféré vivre en continu leurs dernières années. D’autres avaient été victimes d’accidents et il y avait eu deux suicides. Deux suicides reconnus, mais peut-être plus…
— Il n’y a pas d’espoir d’amélioration ?
Elle releva la tête pour fixer Rokart droit dans les yeux et celui-ci se sentit une fois de plus troublé par l’espèce de foi qu’ils mettaient tous en lui. Il n’était pas médecin, ni sorcier, il travaillait en consultant les livres ou les notes de son père, et c’était tout.
— Tu connais le dicton : Tant qu’il y a de la vie…
— … il y a de l’espoir. Tu as raison. Mais comment aider l’espoir ?
— Il faut qu’il se repose. Je vais le maintenir sous sédatifs pendant quelques jours encore.
— Inconscient. Comme un légume.
— Pas tout à fait quand même. Il se réveillera pour manger et tu pourras parler avec lui. Mais nous limiterons ces périodes à deux ou trois heures par jour. En même temps je l’alimenterai en partie par intraveineuses. Il a besoin de reprendre du poids, comme chacun de nous après une période de Sommeil. Nous verrons comment cela aura évolué d’ici huit jours…
Elle aurait dû retourner au Sommeil elle-même. Elle avait prolongé son Éveil pour attendre celui de Paul. Il y avait des décisions à prendre, avait-elle songé. Mais c’était surtout pour le revoir, et revivre un peu le passé à travers lui qu’elle avait attendu. En étouffant un sanglot, elle songea que s’il disparaissait, elle serait la seule à se souvenir vraiment du monde d’Avant, de la caresse du vent sur le visage, du friselis d’un ruisseau ou de l’odeur de l’herbe fraîchement coupée.
Elle n’aurait pas la force de supporter cette solitude, elle en avait peur.
Elle se dirigea vers le centre de surveillance. Elle n’avait pas sommeil, pas faim non plus et il fallait qu’elle s’occupe. Il y avait peut-être du nouveau au-dehors. Même si elle ne se faisait plus guère d’illusions sur le retour à la surface – du moins de son vivant et même en prolongeant encore sa vie de quelques dizaines d’années – elle devait s’y intéresser. À titre d’exemple, pour les autres, qui après les premiers moments d’excitation lorsqu’on avait découvert les sauvages, retombaient dans une mome routine.
Jusqu’à présent, ils avaient réussi à ne pas sombrer comme les Survivants des grands couloirs qui avaient oublié la surface. Elle se disait parfois que c’était en bonne partie parce que Paul ou elle-même les avaient soutenus et poussés. Elle n’en avait jamais tiré aucune gloriole, elle ne l’avait jamais pensé consciemment, mais maintenant elle percevait clairement son devoir : continuer, pour que les plus jeunes continuent eux aussi.
Il avait repoussé la décision durant plusieurs veilles, malgré l’insistance d’Iona ou des autres parents. Celle d’Iona, surtout, qui menaçait de partir elle-même, et seule s’il le fallait. Elle avait réussi les épreuves dans sa jeunesse et en connaissait la difficulté, mais cela ne la freinait pas : l’étranger avait disparu immédiatement après le départ de son fils et de ses compagnons et il devait donc les suivre. Ce n’était pas tant le sacrilège qui la faisait réagir, que la menace qu’il faisait peser sur eux. Dès qu’elle l’avait appris, elle était venue le trouver.
— Thomas, c’est toi le responsable. C’est toi qui as amené cet étranger ici.
Elle avait parlé à voix basse, comme toujours, comme tout le monde, mais sur un ton si impérieux que c’était comme si elle avait hurlé, et, instinctivement, Thomas avait eu un mouvement de recul. Elle avait avancé, s’approchant de lui à le frôler.
— Que vas-tu faire, Thomas ?
— Que veux-tu que je fasse ? Il est parti depuis quatre veilles maintenant. S’il s’était découragé à la Grande Cathédrale, il serait déjà revenu. S’il est allé plus loin, les siphons ont probablement eu raison de lui. Et s’il les a franchis, il lui reste le Vide à découvrir. Et tout cela dans l’obscurité. S’il n’est pas mort, il n’en a plus pour longtemps… Mais tu voudrais que nous partions sur la même route pour l’aider et lui sauver la vie ?
— Sa vie ! Non, je me moque de sa vie. C’est celle de Toni qui compte ! (Après un instant, elle ajouta :) Et aussi celle de Jana, de Berta et des autres, bien sûr.
Elle se rendait tout à coup compte de son égoïsme : elle n’avait pensé qu’à Toni, alors que l’étranger mettait les cinq adolescents en péril. Elle en eut sincèrement honte, et se calma, ce qui laissa à Thomas le loisir de lui demander un délai de réflexion.
Iona aurait été la seule à réagir de cette manière qu’il n’aurait probablement rien fait. Mais les parents de Seigi, puis ceux de Berta, vinrent aussi lui faire part de leur inquiétude. Puis il y eut d’autres personnes, pas nécessairement des parents, qui intervinrent.
Thomas soupira. Après tout, n’avait-il pas fait une erreur en voulant renouer des liens avec les gens des couloirs éclairés ? Même des liens aussi ténus que celui qu’il avait lentement créé avec un seul des leurs. Non, il n’avait pas eu tort. Mais la prochaine fois – s’il y en avait une – il s’y prendrait autrement.
Il rassembla quelques bagages, quelques provisions, et se prépara à partir. Il appela Mathieu. C’était un homme dans la force de l’âge – pour autant que l’on puisse parler de force, pour eux qui étaient si faibles. Il avait aussi connu les épreuves, et comme Thomas, en était revenu transformé. Ce n’était pas le cas de tout le monde, même pas de tous ceux qui y survivaient.
Mathieu se savait différent, tout comme Thomas et quelques autres, mais il n’en tirait aucune fierté particulière. C’était le destin qui l’avait voulu. Un destin qui, d’une certaine manière lui avait apporté quelque chose de plus, mais l’avait en même temps diminué.
Quand Thomas lui demanda de l’accompagner, Mathieu accepta. Certains auraient pensé « avec joie », mais le changement avait, d’une certaine manière, ôté à Mathieu la possibilité d’éprouver la joie. Tout au plus éprouva-t-il une certaine satisfaction de savoir que le changement allait se révéler utile, pour la première fois depuis bien longtemps.
Il ne lui fallut que quelques minutes pour fourrer dans une musette quelques vêtements et des biscuits de champignons, ainsi que pour remplir d’eau fraîche un antique bidon de métal récupéré à l’autre bout de la Voie, lorsqu’il avait subi les épreuves.
Ils prirent en silence le même chemin que celui emprunté par les jeunes gens quelques veilles plus tôt. Iona les attendait au débouché du couloir, avec les parents des quatre autres. Il n’y eut pas un mot d’échangé, mais leur présence était suffisante pour qu’ils sentent les encouragements de la communauté et que la force du peuple des Éboueurs vienne renforcer leur détermination.
La longue marche commença. Thomas se concentra sur le but à atteindre et Mathieu fit de même de son côté. Ils avaient été changés, mais il fallait toujours du temps et une intense concentration pour que l’effet positif de ce changement se marque et leur permette de franchir aisément des obstacles qui arrêtaient tous ceux qui n’avaient pas connu le même supplice qu’eux.